La pauvreté s’intensifie et devient structurelle
Le profil des 10 000 personnes accompagnées par le Secours Catholique du Loiret en 2024 a fortement évolué depuis 1994. C’est ce que montre le 30ème rapport national sur la pauvreté de l’association que la délégation du Loiret a présenté à la presse le 20 novembre.
Conjoncturelle en 1994, la pauvreté est devenue multidimensionnelle et structurelle. Il est de plus en plus difficile d’en sortir.
Intensification de la pauvreté
Alors que le taux de pauvreté selon l’INSEE (1) s’est élevé en France en 2024 à 15,4 %, soit le niveau le plus élevé depuis 30 ans, le Secours Catholique fait face à un essor des situations de pauvreté extrême. Il faut rappeler que le poids des dépenses pré-engagées (loyer et charges, téléphonie, banque, cantine…) représentent en moyenne 60 % du revenu des ménages accueillis par l’association contre 30 % pour la population générale.
Aujourd’hui, au sein des bénéficiaires du Secours Catholique du Loiret, on constate :
- Une hausse de la part des femmes,
- Une augmentation des ménages vivant en zone rurale,
- De nouveaux publics comme les étudiants ou les retraités
- Des travailleurs pauvres en plus forte proportion
“Au début des années 2000, des gens tombaient dans la pauvreté à la suite d' un accident de la vie (licenciement, divorce…)" explique Emmanuel Barbier, délégué départemental du Secours Catholique du Loiret. “Avec une aide ponctuelle, ils parvenaient à s’en sortir. Aujourd’hui, être à la retraite, suivre des études à l’université, travailler en CDI à mi-temps… ce ne sont pas des accidents de la vie mais bien des statuts qui ne permettent plus à certaines personnes de vivre dignement".
Pauvreté rurale en hausse
Les 31 équipes du Secours Catholique du Loiret, majoritairement implantées en milieu rural, sont confrontées à un afflux croissant de bénéficiaires vivant en zone rural. Au niveau national, cette population a doublé en 30 ans pour les ménages de nationalité française. La moitié des personnes rencontrées en zone rurale expriment une demande d’aide alimentaire (+ 17 points depuis 2002). Dans le Loiret, l’association y fait face en développant des épiceries solidaires (5 à ce jour).
“A part une ukrainienne, nous n’avons aucun migrant parmi les 110 familles que nous suivons à Ferrières en Gâtinais” observe Jean-Paul Thierry, responsable de l’équipe locale du Secours Catholique composée de 46 bénévoles. “Face à l’explosion des demandes d’aide alimentaire, nous avons ouvert il y a un an une épicerie solidaire. En fonction de leur reste à vivre, les bénéficiaires payent les produits entre 1 et 20% des prix pratiqués dans le commerce. Ils y trouvent aussi des fruits et légumes. C’est important de proposer une alimentation de qualité et digne. On ne va plus à la soupe populaire mais à l’épicerie. Par ailleurs, suite à la hausse des coûts de l’énergie, près d’un quart des personnes accueillies disent ne pas avoir les moyens de bien se chauffer chez elles. Résultat, elles viennent nous voir pour sortir de leur isolement mais aussi pour se réchauffer dans nos locaux. Enfin, nous constatons une hausse des sollicitations pour les démarches administratives en ligne. Certains n’ont pas d’ordinateur ni d’abonnement à une box et beaucoup ne sont pas très à l’aise avec les outils numériques”.
Éloignement du marché du travail et précarisation de l’emploi
La part des adultes accueillis en situation d’inactivité est passée de 40 % en 1999 à 66 % en 2024. Il faut distinguer les situations d’inactivité dite classique (étudiant, retraité, personne au foyer, inaptitude au travail pour raisons de santé) de celles dites « autres » regroupant des personnes en âge de travailler mais qui n’ont pas obtenu de droit au travail ou qui, découragées, ne cherchent plus d’emploi. 38 % de ces dernières sont dans cette situation depuis plus de 2 ans (+ 10 points en 25 ans).
Les personnes en emploi rencontrées par l’association sont des travailleurs pauvres : leur revenu moyen s’établit à 855 euros soit bien en deçà du seuil de pauvreté fixé à 1316 euros. 15 % de ces derniers occupent des emplois précaires (intérim, saisonnier) et 27 % travaillent à temps partiel (+ 8 points en 25 ans). La part des adultes en CDI a bondi de 20 à 29 % depuis 1999.
“Nous sommes en lien avec la maraude de Sainte Paterne et nous rencontrons régulièrement des jeunes travailleurs qui sont à la rue” remarque Dominique GUY, Président du Secours Catholique du Loiret.
Le regard sur la pauvreté : entre durcissement et empathie
Près de 60 % des français (2), en hausse de 10 points depuis 2020, pensent que « si les personnes sont en situation de pauvreté, c’est parce qu’elles ne veulent pas travailler ». Or, avec 1,5 millions de travailleurs pauvres en France, il apparaît que le travail protège de moins en moins de la précarité et de la pauvreté. Heureusement, nombre de français restent empathique et solidaire à l’égard des personnes en voie d’exclusion. Plus de la moitié de nos concitoyens considère par exemple qu’il conviendrait d’augmenter le RSA plutôt que de le diminuer (3).
“Avant, lorsque des gens sollicitaient des aides auprès des services publics, il y avait un a priori de confiance qui s’établissait” note Emmanuel Barbier. Désormais, ils doivent faire face à un a priori de suspicion. "Car les aides sont de plus en plus conditionnées et il faut produire de multiples documents pour justifier sa demande. D'où une hausse du taux de non recours”.
“En dépit de toutes ces évolutions inquiétantes, mes 6 années passées en tant que président de l’association dans le Loiret me rendent optimiste” confie Dominique Guy. "En effet, en 4 ans, le nombre de nos bénévoles est passé de 450 à 650 grâce notamment aux nombreux projets locaux que nous avons soutenus. Nous avons aujourd’hui 11 boutiques de vêtements, 5 épiceries solidaires et d’autres devraient bientôt voir le jour. L’Etat, la CAF, des collectivités locales ainsi que des partenaires privés ont toujours été à notre écoute et nous ont permis d’adapter nos actions à l’évolution des besoins des personnes en précarité. En fait, ce que demandent les gens en priorité, c’est de l’écoute ! Nos bénévoles sont convaincus que chaque être humain a droit à une vie digne, et c’est au quotidien qu’ils pratiquent la fraternité. Parce que la pauvreté n’est pas une fatalité et qu'ensemble, nous pouvons la faire reculer”.
(3) : source CREDOC